Les ransomwares et le RGPD : les enjeux de la protection des données face aux cyberattaques
L’évolution du paysage numérique s’accompagne d’une recrudescence inquiétante des cyberattaques par ransomware, dont les répercussions dépassent largement le cadre technique pour toucher au cœur des obligations légales en matière de protection des données personnelles.
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), entré en vigueur en mai 2018, établit un cadre juridique strict pour le traitement des données personnelles au sein de l’Union Européenne (UE) et de l’Espace Economique Européen (EEE). En dehors de l’UE/EEE, d’autres pays européens appliquent aussi des règlementations équivalentes: RGPD UK au Royaume-Uni ou nLPD en Suisse. Cependant, l’émergence de groupes criminels sophistiqués tels qu’Akira soulève des problématiques sur l’articulation entre les exigences de conformité de ces réglementations et la gestion de crise cybersécuritaire.
Les attaques par ransomware ne se contentent plus de chiffrer les données pour paralyser les systèmes informatiques. Elles intègrent désormais une dimension d’extorsion par le vol massif de données personnelles, créant une double menace : la paralysie opérationnelle et la violation potentielle du RGPD. Cette évolution transforme chaque incident de ransomware en une crise de conformité réglementaire, où les entreprises doivent naviguer entre les impératifs de continuité d’activité et le respect de leurs obligations légales envers les personnes concernées.
L’analyse des récentes attaques, notamment celles perpétrées par le groupe Akira, révèle l’ampleur des défis auxquels sont confrontées les organisations. Entre la pression exercée par les cybercriminels, les recommandations des autorités de ne pas céder au chantage, et les exigences strictes du RGPD en matière de notification et de protection des données, les entreprises victimes se trouvent dans une situation juridique et opérationnelle particulièrement complexe.
I. L’impact des ransomwares sur la conformité RGPD : entre violation de données et obligations légales
La double dimension des attaques modernes
Les attaques par ransomware d’aujourd’hui, illustrées par les opérations du groupe Akira, représentent une évolution majeure dans le paysage des cybermenaces. Contrairement aux premières générations de ransomwares qui se contentaient de chiffrer les données, les techniques actuelles combinent le chiffrement avec l’exfiltration massive d’informations. Cette approche dite de “double extorsion” place les entreprises victimes dans une situation particulièrement délicate au regard du RGPD.
Lorsqu’une PME romande (soumise au nLPD) s’est retrouvée paralysée un lundi matin après une attaque survenue le week-end, l’entreprise a découvert que l’ensemble de ses données, y compris les coordonnées personnelles de ses employés, avaient été compromises. Cette situation illustre parfaitement la complexité juridique générée par ces nouvelles formes d’attaques : au-delà de la paralysie opérationnelle, l’entreprise doit faire face à une violation de données personnelles.
Les obligations de notification face aux enjeux de survie de l’entreprise
Le RGPD impose des délais stricts pour la notification des violations de données : 72 heures pour informer l’autorité de contrôle compétente et, dans certains cas, un délai “dans les meilleurs délais” pour notifier les personnes concernées. Ces obligations deviennent particulièrement problématiques lors d’attaques par ransomware, où l’entreprise peut se retrouver dans l’incapacité technique d’évaluer précisément l’étendue de la violation.
L’exemple de KNP Logistics, une entreprise britannique de 158 ans paralysée par Akira, démontre la rapidité avec laquelle une violation peut conduire à l’effondrement d’une organisation. L’impossibilité de payer la rançon de 5 millions de livres sterling a conduit à la faillite et au licenciement de 700 employés. Dans ce contexte, les obligations RGPD UK passent au second plan face à la survie même de l’entreprise, créant un dilemme éthique et juridique majeur.
L’évaluation des dommages et la responsabilité
Le RGPD exige des entreprises qu’elles évaluent les risques pour les droits et libertés des personnes concernées suite à une violation de données. Cette évaluation devient extrêmement complexe dans le contexte d’une attaque par ransomware, où l’entreprise ne contrôle plus ses systèmes et ne peut déterminer avec certitude quelles données ont été compromises.
Les témoignages recueillis révèlent l’ampleur du traumatisme psychologique vécu par les dirigeants, décrit comme un “viol” ou une “prise d’otages”. Cette dimension humaine, souvent négligée dans l’approche purement technique du RGPD, souligne la nécessité d’une approche plus holistique de la gestion des violations de données. Les dirigeants de la PME romande ont vécu des “blessures psychologiques qu’ils n’avaient jamais imaginé vivre”, illustrant que l’impact d’une cyberattaque dépasse largement le cadre des données pour toucher l’intégrité même des personnes.
II. Le dilemme du paiement de rançon face aux exigences du RGPD
Le conflit entre recommandations officielles et réalité opérationnelle
Le RGPD ne prend pas explicitement position sur la question du paiement des rançons, mais il impose aux entreprises de mettre en œuvre “les mesures techniques et organisationnelles appropriées” (cf. Article 25) pour assurer la sécurité des données. Cette formulation générale laisse place à l’interprétation lorsqu’une entreprise doit choisir entre payer une rançon pour récupérer l’accès à ses données ou risquer la faillite.
L’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) recommande fermement de ne pas céder au chantage, arguant que “payer une rançon, ce n’est pas la garantie de retrouver ses données” et que cela “incite plutôt les criminels à revenir”. Cependant, cette position de principe entre en collision avec la réalité du terrain, où près de la moitié des entreprises accompagnées par des experts choisissent de payer lorsqu’elles n’ont plus d’alternative viable.
Les implications juridiques du paiement
Le paiement d’une rançon soulève des questions juridiques complexes au regard du RGPD. D’une part, l’article 32 du règlement impose aux responsables de traitement de prendre des mesures pour “empêcher” les violations de données. Le paiement d’une rançon peut-il être considéré comme une mesure de protection, ou constitue-t-il au contraire un aveu d’échec des mesures de sécurité?
La PME romande, qui s’estimait “parmi les entreprises les mieux protégées” après des audits poussés, a découvert que ses mesures de sécurité étaient insuffisantes. Le paiement d’une rançon représentant initialement 5% de son chiffre d’affaires annuel a permis de récupérer les données, mais a également soulevé des questions sur la proportionnalité des mesures de sécurité exigées par le nLPD.
Qui est responsable?
Dans le contexte de l’attaque d’un entreprise par ransomware, le premier réflexe est de poser la question de la responsabilité des salariés ou des sous-traiants Si l’attaque provient de la violation d’un compte de l’entreprise, comme ce fut le cas pour KNP Logistics où les pirates ont “simplement deviné le mot de passe d’un salarié” trop faible, qui est responsable: est-ce que le chef d’entreprise a donné les bonnes consignes de sécurisation au salarié mis en cause? Si tel est le cas, ont-elles été respectées par le salarié? Dans le cas de KNP Logistics, l’identité de cet employé n’a pas été révélée: à quoi bon, aller chercher des responsabilités, puisque l’entreprise a fait faillite…
Face à cela, l’organisation sophistiquée des groupes comme Akira, décrite comme une véritable “franchise” avec des services techniques et un support après-vente, transforme le paysage de la cybercriminalité en une industrie structurée. Cette professionnalisation pose des défis inédits pour l’application du RGPD, qui n’avait pas anticipé de tels niveaux d’organisation criminelle.
III. Vers une adaptation du cadre réglementaire : défis et perspectives d’évolution
L’insuffisance du soutien institutionnel
L’analyse des cas d’attaques révèle un décalage important entre les exigences théoriques du RGPD et la réalité du soutien apporté aux entreprises victimes. La PME romande a attendu “dix jours pour que la police nous dise que finalement, elle ne pouvait rien faire” et a constaté l’absence de “structure vers laquelle on pourrait se tourner et qui proposerait une sorte de guide de premiers secours ou un soutien psychologique”.
Cette situation met en lumière une faiblesse structurelle dans l’écosystème de la protection des données : si le RGPD impose des obligations strictes aux entreprises, il ne prévoit pas de mécanisme de soutien proportionnel lorsque ces dernières deviennent victimes d’attaques sophistiquées. L’aide “providentielle” d’un client disposant d’un contrat avec une entreprise spécialisée a été cruciale pour la survie de la PME romande, soulignant l’importance des réseaux privés face aux carences institutionnelles.
L’évolution nécessaire des approches préventives
Le RGPD privilégie une approche préventive à travers les concepts de “privacy by design” et “privacy by default” (Article 25). Cependant, les attaques par ransomware démontrent que même les entreprises les mieux préparées peuvent devenir victimes. KNP Logistics “respectait les normes de cybersécurité en vigueur et disposait d’une assurance contre les cyberattaques”, mais une “simple erreur humaine” a suffi à provoquer sa chute.
Cette réalité suggère la nécessité d’une évolution du cadre réglementaire vers une approche plus résiliente, capable de gérer non seulement la prévention mais aussi la réaction et la récupération après incident. Paul Abbott de KNP milite pour une “obligation de prouver sa protection informatique, une sorte de ‘contrôle technique cyber’”.
Les enjeux de la négociation et de la gestion de crise
L’expertise développée par des professionnels comme Lilian Laugerat, expert du GIGN en négociation de crise, révèle une dimension souvent négligée du RGPD : la gestion humaine des violations de données. “Négocier ne veut pas dire payer… Cela permet de gagner du temps, de juger si la personne en face de nous est crédible, de connaître son véritable objectif”, explique-t-il.
Cette approche suggère que le RGPD pourrait bénéficier d’une intégration plus explicite des techniques de gestion de crise, reconnaissant que les violations de données ne sont pas seulement des incidents techniques mais des situations humaines complexes nécessitant des compétences spécialisées.
Vers une harmonisation internationale
Les réflexions du gouvernement britannique sur “l’interdiction du paiement des rançons et l’obligation de déclaration d’attaque” illustrent la nécessité d’une coordination internationale dans la lutte contre les ransomwares. Cette approche pourrait influencer l’évolution du RGPD UK, voire du RGPD et du nLPD, particulièrement dans ses relations avec les réglementations non-européennes.
L’expansion rapide d’Akira depuis mars 2023, avec 42 millions de dollars extorqués à 250 organisations durant sa première année selon le FBI, démontre que la menace dépasse largement les frontières européennes et nécessite une réponse coordonnée au niveau international.
Conclusion
L’évolution des cyberattaques par ransomware, illustrée par l’émergence de groupes sophistiqués comme Akira, révèle les limites actuelles du cadre réglementaire établi par le RGPD. Si ce règlement a considérablement renforcé la protection des données personnelles en Europe, il n’avait pas anticipé l’industrialisation de la cybercriminalité et ses implications pour la gestion des violations de données.
Les témoignages recueillis auprès d’entreprises victimes soulignent l’urgence d’une adaptation du cadre juridique pour mieux accompagner les organisations dans la gestion de ces crises. Le décalage entre les obligations théoriques du RGPD et la réalité du soutien apporté aux victimes constitue une faille majeure qu’il convient de combler.
Enfin, la coordination internationale apparaît comme un enjeu crucial pour lutter efficacement contre des menaces qui ignorent les frontières, que ces sociétés soient soumises au RGPD, au RGPD UK ou au nLPD. L’expérience douloureuse mais instructive des entreprises victimes doit servir de catalyseur pour une modernisation du cadre réglementaire, afin que la protection des données personnelles reste effective face aux défis de cybersécurité du XXIe siècle.
Sources:
- Royaume-Uni : A cause d’un « vulgaire » mot de passe, une entreprise séculaire de 700 salariés met la clé sous la porte
- « C’était ça ou la faillite » : face aux cyberattaques, le grand tabou du paiement des rançons dans les entreprises
- Ils racontent comment des hackers ont failli tuer leur entreprise
- Il se fait hacker son mot de passe et provoque la faillite de son entreprise vieille de 158 ans
Article réalisé avec l’assistance de l’IA Claude 4 Sonnet d’Anthropic
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